Panorama des arts visuels d’aujourd’hui : Les acquisitions réussies des Musées de la Ville

Le bon choix

Vue de l’exposition avec les œuvres de Roland Schauls et Stéphanie Uhres
Foto: Christof Weber
d'Lëtzebuerger Land vom 09.02.2024

La Villa Vauban expose quelques quarante pièces d’art contemporain de 2018 à 2022, acquises récemment par la Ville de Luxembourg pour ses musées. Une centaine d’œuvres d’artistes résidents au Luxembourg, nationaux et étrangers ou vivant hors du pays sont achetées chaque année. Le titre Bienvenue à la Villa ! (2) Acquisitions récentes d’art contemporain, n’est pas très attrayant mais qui fait suite à une première présentation en 2022. Il montre ainsi le soutien au marché contemporain de l’art, la majorité des œuvres étant des achats à des galeries, aux artistes, au CAL et ou lors de l’Art Week, deux pièces seulement sont des donations, des Amis des Musées et de la Galerie Schlassgoart.

Le soutien aux artistes vivants ne fut pas toujours aussi dynamique. On en voudra pour preuve la difficile accession à la notoriété des peintres luxembourgeois modernes de leur vivant, un peu moins à l’étranger d’ailleurs qu’au pays même.Jusqu’à ce que Joseph-Emile Müller, du Musée national (MNAHA), entreprenne une politique d’achats, d’expositions à l’étranger et de diffusion de la connaissance de l’art de l’époque auprès du grand public. La présente exposition, est donc un bel outil de sensibilisation à l’art contemporain. La confirmation aussi qu’un soutien public est indispensable à la vie des galeries et à la production des artistes. On aura cependant noté l’absence d’un Éric Chenal. On se souvient pourtant avoir vu une exposition de son travail entre photographie et arts plastiques de très haut niveau. Pas non plus de Paul Kirps. Celui-ci n’est certes pas représenté par une galerie mais Spike non plus, heureusement présent dans l’exposition avec Portes ouvertes. Une photographie de 2016, qui restera l’unique mémoire d’un lieu disparu, le terrain d’intervention du graffeur.

On a parfois reproché à la Villa Vauban des classements des classements dans les expositions à thème, voire monographiques (paysages, portraits, décennie) qui empêchaient le visiteur de faire des rapprochements entre des factures picturales d’artistes différents ou de l’évolution d’un artiste dans le temps. Bienvenue à la Villa ! (2) bénéficie cette fois de titres thématiques qui sont un résumé des sujets. Ainsi, après avoir été accueillis par la magnifique fresque de Tina Gillen peinte in situ Sea of Grean pour la première phase de l’exposition en 2022 et l’Elephant in the Room de Pit Molling (impression en 3D, 2022), la section Empowerment, ouvre l’exposition sur des œuvres d’artistes femmes.

Le sujet incontournable « comme l’éléphant dans la pièce », c’est le Nu descendant l’escalier avec talons compensés – contre-plongée avec tête (2021) d’ORLAN. C’est l’antithèse de Duchamp. Pas parce qu’il s’agit ici d’une femme, ni parce que le Nu descendant l’escalier n° 2 de Marcel Duchamp (datant de 1912, tout de même !) frôlait l’abstraction, mais à cause de l’angle de la prise de vue. Il est question de l’intimité, exposée comme dans L’Origine du monde de Courbet : c’est la pudeur du regard du visiteur qui est mise à nu. La femme et le sujet réaliste, on les retrouve dans le Nu descendant un escalier, autoportrait photographique en couleur d’Elina Brotherus (2010). Qui, avec la fresque 1900 dans l’escalier rappelle l’histoire de l’art, tout comme Le Déjeuner sur l’herbe de Berthe Lutgen (huile sur toile, 2001) et la nappe de Germaine Hoffmann (1987, technique mixte sur lin).

On peut penser à la toile de Manet qui fit scandale à l’époque à cause de la nudité des corps féminins… Germaine Hoffmann renvoie plus prosaïquement à la femme cantonnée à son rôle de ménagère. Artistes et sujets luxembourgeois incontournables (un portrait de dame par Roland Schauls, la Schueberfoer par Moritz Ney), intéressent moins dans la section Images of Humanity que la simplicité des moments de la vie de famille dehors par Stéphanie Uhres (2019, acrylique sur toile), les traits du visage sans fard d’Anna par Nina Mambourg (2022, huile sur toile) et son très contemporain Functionnal Wear (2018). Mode façon influenceuse, à la limite du grotesque, qui rejoint par sa facture et les couleurs franches un expressionisme très République de Weimar…

On ne peut, ni ne veut ici, faire une description exhaustive de toutes les œuvres. On se demande quand même pourquoi acheter aujourd’hui, un Patricia Lippert tardif et quelques autres abstractions lyriques… Mais dans Shapes and Surfaces, le travail du tissu à motif en lieu et place de la toile, son minutieux camouflage par petits points de peinture de Nina Tomàs (2018, Extinction), est tout à fait contemporain, un support classique, mais sur un tableau retourné. Il est accroché en face de Calva Nera I, II, III, une œuvre précoce (2020) de « l’explorateur urbain » Julien Hübsch, comme il est dit dans le catalogue. Cela montre que le CAL, longtemps snobé parce que « ringard », retrouve sa place la scène artistique : ses lauréats de 2023 étaient Julien Hübsch et Pit Riewer.
Identity/Bounderies, concentre des noms et des œuvres qui montrent la belle maîtrise de l’art du portrait (et autoportrait) par la jeune scène : Mike Bourscheid et son travail sur le genre (Der Kaktustänzer, aber der Bruder, photographie, 2013). Le diptyque Kopfüber d’Anna Krieps (photographie, 2017) où une dame qui tombe à la renverse, raide fait face à l’esthétique souple au plissé rappelant des silhouettes de la Grèce antique alors qu’il s’agit de couvertures de survie de migrants dans des paysages désertiques (Halidom, photographies de Lisa Kohl, 2022).

C’est la dernière salle, au choix impeccable et parfaitement équilibrée dans son accrochage. La visite s’achève par l’expression puissante mais indéchiffrable d’un visage comme un masque par Joachim van der Vlugt (Big Plans Executed, 2022). Viridian (2021) de Pit Riever, est un tronc de corps masculin, expressif, bien identifiable et pourtant, l’habilité de l’exécution et les couleurs dominantes bleu et vert de cette acrylique et gouache sur toile le dissolvent comme une apparition. Preuve encore une fois de l’ancrage dans ce qui questionne notre époque des récentes acquisitions des Musées de la Ville.

Marianne Brausch
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