Festival du film fantastique de GÉrardmer

Le retour des vampires

d'Lëtzebuerger Land vom 26.01.2024

Phantastikos, en grec, c’est comme une grande fabrique des illusions. « Ce qui est capable de former des images, des représentations », nous dit le dictionnaire historique d’Alain Rey. Soit la faculté d’imaginer, de créer un univers qui n’existe pas en réalité, faculté qui sera amalgamée au « fou, à l’insensé » (A. Rey) pour son écart à la sacro-sainte raison. De là, l’aspect étrange que revêtiront les personnages fantastiques. Fabuleuses créatures de la Nature (Freaks, 1932, de Tod Browning), de la fantaisie (Nosferatu le vampire, 1922, de Murnau) ou de la folie humaines (le Shining qui hante l’hôtel et l’esprit de l’écrivain Jack Torrance), elles dérangent, effraient, car gisant toujours dans le hors-champ de notre (bonne) conscience. Aussi interrogent-elles les limites (physique, psychologique, morale) de l’humain et la confiance trop évidente que nous plaçons dans le visible et l’image. Le cinéma, art de la monstration destiné à satisfaire le voyeurisme du spectateur, s’avère une florissante industrie productrice de monstres.

Le Festival du film fantastique de Gérardmer, dont la trentième édition se tient jusqu’à la fin du mois, est marqué cette année par le retour de la figure du vampire, motif faisant office de fil conducteur pour les dix longs-métrages de la sélection officielle. Ce sont des vampires de notre temps, comme le précise dans un communiqué le directeur du festival, Bruno Barde : « Depuis l’année dernière, le monde s’est enténébré. Le mépris de l’autre et le non-respect de l’être œuvrent à l’accélération de phénomènes inconcevables tant ils sont absurdes et barbares. Les vampires, figures cinématographiques des voleurs de sang, sont parmi nous en ces temps obscurs, où la lumière s’épaissit au bénéfice des Nosferatu des temps modernes. » La famille est naturellement un terrain privilégié pour observer des phénomènes paranormaux, ses membres étant pour unis par les liens du sang. Dans Amelia’s Children, le cinéaste Gabriel Abrantes, pleinement ancré dans son époque, s’empare des dernières avancées scientifiques pour ficeler son intrigue. Un test ADN peut en effet changer aujourd’hui le cours d’une vie, comme va très vite s’en apercevoir Edward, orphelin à qui l’on en a offert un pour son anniversaire. Le jeune homme découvre alors l’existence d’un frère jumeau au Portugal, qu’il s’empresse de rejoindre pour découvrir cette part jusque-là inconnue de sa vie. Commence alors une quête existentielle des origines durant laquelle le sol des certitudes va s’effondrer. La vaste demeure portugaise abrite autant les névroses familiales que les noirs desseins d’un frère et d’une mère assoiffée de sang… Évoluant au cinéma et dans le milieu de l’art contemporain (des installations vidéo notamment), Gabriel Abrantes avait obtenu au festival de Cannes le Grand prix de la semaine de la critique pour l’inclassable Diamantino (2018), dont on retrouve l’acteur principal dans Amelia’s Children, le beau gosse Carloto Cotta, qui incarne à lui seul les rôles des deux frères, Edward et Manuel.
Film exploitant autrement les ressources spectrales du cocon familial, En attendant la nuit (unique production française de la compétition) a pour point de départ la vie de sa réalisatrice, Céline Rouzet, et des problèmes rencontrés par son frère durant son adolescence, âge cruel du conformisme social le plus violent. Afin de mettre à distance son histoire personnelle, la cinéaste a donné à ce matériau un tournant romanesque au côté du scénariste William Martin : « Ce que j’aime (…) dans le cinéma imaginaire, déclare t-elle en conférence de presse, c’est qu’il permet d’exacerber des situations, de faire appel à la romance, au lyrisme… Il y a une intensité des émotions et des sensations dans le film de genre. » Philémon, l’ado fragile d’En attendant la nuit, ravive la figure incomprise et vulnérable, et donc attachante, du vampire, éternel exclu de la communauté humaine — un sens politique et inclusif que la réalisatrice injecte dans son appropriation du cinéma de genre. Est-ce enfin une (cruelle) coïncidence si la mère de Philémon est interprétée par une actrice qui avait complètement disparu des plateaux, Élodie Bouchez, elle-même pâle revenante de Hollywood ?

Les autres longs-métrages en lice apporteront de nouvelles inflexions à la figure du vampire et contribueront à élargir la définition du genre, que l’on a vu ces dernières années prendre des acceptions féministes (la Palme d’or remise en 2021 à Titane, de Julie Ducournau) ou afro-américaines (notamment Nope de Jordan Peele en 2022). Deux films asiatiques en compétition évoluent quant à eux dans un entre monde où flottent des âmes mortes : depuis le cimetière d’où elles émanent dans The Forbidden Play, de Hideo Nakata, maître de l’horreur japonais auquel on doit notamment Ring (1998), ou encore en prenant possession des corps la nuit (Sleep, du Sud-Coréen Jason Yu). Les contours du genre iront en s’élargissant avec Perpetrator (2023) le quatrième long-métrage de la réalisatrice Jennifer Reeder, dont le style très « psychologisant » et non dénué d’accent féministe est souvent rapproché de Lynch, Cronenberg ou Carpenter, des références prometteuses. Au jury présidé par Bernard Werber, l’auteur fameux du best-seller mondial Les fourmis, d’élire le film le plus ambitieux de cette compétition officielle. À cela s’ajoute des rétrospectives – l’occasion de découvrir ou de revoir notamment le Dracula de Coppola ou le Nosferatu de Murnau – ou de se confronter au cinéma du Britannique Gareth Edwards, qui en seulement quatre longs-métrages (dont Rogue One : A Star Wars Story en 2016) a apporté sa touche singulière au fantastique. Une master class à ne pas manquer est prévue vendredi 26 janvier à la Maison de la culture et des loisirs (14h).

Loïc Millot
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