Borschette vs Bodson (1970), Rau vs Steichen (1992), Hansen vs Schmit (2024) : Quand le choix du commissaire européen vire au feuilleton politique

Bruxelles je t’aime

Christophe Hansen (CSV), l’homme auquel le poste était promis
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 26.01.2024

Beaucoup de ressorts l’intéressaient, explique Christophe Hansen ce lundi sur RTL-Radio. « Ëmwelt ass eppes, wat mir ganz no läit, Landwirtschaft läit mir no… Mee ech mengen awer och de ganze Marché intérieur. » Il pourrait d’ailleurs également s’imaginer futur commissaire européen à l’Énergie, ou alors aux PME. « Mee dat muss een och mam nächste Präsident ofmaachen. » L’interview avec le député CSV rappelle celle donnée par Viviane Reding en janvier 2018, également à la matinale de RTL-Radio : « Aussenminister, Europaminister, Wirtschaftsminister, Finanzminister: Ech ka vill an ech stellen dat wat ech kann menger Partei zur Verfügung », expliquait alors la candidate aux législatives.

L’orgueil affichée par Hansen cache mal sa nervosité. À défaut d’en faire un ministre, Luc Frieden lui a promis le poste de commissaire européen. Or, un social-démocrate septuagénaire au visage juvénile menace de lui gâcher son plan de carrière. Nicolas Schmit sera le Spitzenkandidat du Parti socialiste européen, un choix qui sera officiellement avalisé début mars. Le Luxembourgeois n’avait rien à perdre, il a donc joué le tout pour le tout. L’intéressé confie, « grinsend », ce samedi au Wort : « In der Politik ist es wie im Leben : Manchmal braucht es auch etwas Glück ».

L’histoire du fils du pays qui réussit sur la grande scène européenne exerce un attrait irrésistible sur les Luxembourgeois, et pourrait finir par contrarier les calculs de Luc Frieden. Christophe Hansen est parti à la contre-offensive cette semaine, en mode damage control. Lundi sur la matinale de RTL-Radio, mardi sur celle de Radio 100,7, il a distillé ses nouveaux éléments de langage. Les chances de Schmit pour devenir président de la Commission seraient « immens kleng », respectivement « extrem schlecht ». Puis de lui rendre un hommage douteux : « Ech respektéieren, dat hie fir seng Partei de Kapp dohinner hält. Well et ass eng zimmlech aussiichtslos Course, muss ech soen. » Et dans cette course, il n’y aurait pas de « prix de consolation ».

L’info a commencé à fuiter au moment même, où la relégation du LSAP dans l’opposition était actée. Au Luxembourg, personne n’avait vu venir Schmit. Mais sa manœuvre le met en lice pour un poste prestigieux au sein de la prochaine Commission européenne, peut-être Vice-président exécutif ou Haut représentant. Car pour former une majorité, le Parti populaire européen aura besoin des voix sociales-démocrates et libérales (voire vertes). Dès novembre, Politico avait analysé la stratégie schmitienne : « He could try to capitalize on the idea that if he were to stay, Luxembourg might get a more important portfolio in the next Commission, given his network and the need to satisfy the Socialists ». L’ancien eurodéputé CSV, Frank Engel, le résume non sans malice : « La vraie question, c’est : Un Luxembourgeois obtiendra-t-il un poste influent ? La réponse est : Oui, c’est possible. Mais son nom sera Nicolas Schmit. » Et d’asséner un « et ass dat, wat et ass ».

Au bout de deux élections, Christophe Hansen risque de se retrouver à la case départ, c’est-à-dire dans l’Hémicycle européen. À l’issue des législatives, il passait pourtant pour un sérieux prétendant à un poste de ministre. (D’autant plus que le CSV récompense traditionnellement ses secrétaires généraux pour les élections gagnées : Jean-Louis Schiltz en 2004, Marco Schank en 2009.) Mais la composition d’un gouvernement serait comme « een emgedréint Mikado-Spill », disait Hansen ce mardi sur Radio 100,7. Parmi ses baguettes enchevêtrées, les liens de parenté : Christophe et Martine Hansen sont en effet cousins. Face au Land, Christophe Hansen estime avoir une « bonne cinquantaine » de cousines et de cousins, son père ayant sept frères et sœurs, sa mère huit. Toujours est-il que deux Hansen au sein d’un même gouvernement, « dat wären warscheinlech och Gespréicher ginn ».

Un Spitzenkandidat Schmit flatte le narcissisme européen des Luxembourgeois. Mais la réaction de la presse européenne oscille entre indifférence et moquerie : « Nicolas who ? » (Politico), « un pur rispettabile signor » (Corriere Della Sera), « Keiner bewarb sich » (FAZ). La SZ titre « Der nette Herr Schmit verspricht zu kämpfen » et le décrit comme « ehrenwerter, verträglicher Sozialdemokrat ». Le Luxembourgeois s’essaie dans l’autodérision : « Selbst seine Frau finde, er übertreibe manchmal mit seinen Ambitionen ». (Quant à la presse française, elle n’a quasiment pas pris note de Schmit.) Le verdict est unanime : Que le choix des socialistes européens soit tombé sur ce quasi-inconnu fournirait bien la preuve que plus personne ne croit dans le système du Spitzenkandidat. Les stars de la sociale-démocratie européenne, à commencer par la Finlandaise Sanna Marin, avaient mieux à faire. Restait un boomer luxembourgeois.

Frieden fera-t-il pour Schmit ce que Bettel avait fait pour Juncker ? Entre les deux, ce n’est pas la grande amitié. En 2010, Nicolas Schmit était le premier parmi les membres du gouvernement à critiquer ouvertement le tournant de la rigueur engagé par Luc Frieden. À la surprise générale, le diplomate fit exploser la Tripartite, et fut fêté comme un héros par la base socialiste au congrès de Moutfort. En 2019, il reviendra sur l’austérité prônée par Frieden : « Dat war alles totale Schäiss ». Mais, on se rencontre toujours deux fois. Quatorze ans plus tard, le nouveau #Luc pourrait se voir forcé à envoyer Euronico à Bruxelles.

Au Luxembourg, le choix du commissaire s’est toujours fait à géométrie variable. En juin 1970 déjà, le libéral Gaston Thorn critiquait cette incohérence : « Il faudra bien choisir entre la politique européenne, les mérites d’une personne, ou un accord entre partis. On ne peut pas mélanger les trois et à tel moment prétendre que c’est dans l’intérêt supérieur de l’Europe et à tel autre moment ne mettre en avant que les mérites, aussi éminents soient-ils, d’une personne, voire d’un parti. »

Bruxelles a longtemps été considéré comme une sortie de secours pour politiciens tombés en panne. Sur les treize Luxembourgeois envoyés à la Commission depuis 1958, neuf étaient des anciens ministres. En juin 1976, le Vice-Premier ministre socialiste, Raymond Vouel, s’était fait publiquement désavouer par le congrès de son parti. Il avait à peine réussi à se faire réélire dans la direction du LSAP. Dépité, Vouel quitta la salle avant même l’annonce des résultats. Manifestement, il était peu populaire auprès de sa propre base. (« De Vouel dat war sou een, dat war sou e Manipulateur, e Strateg », se rappellera Robert Goebbels en 2013 dans Méi Sozialismus !) Un remaniement gouvernemental s’imposa. Un poste venait justement de s’ouvrir : Le commissaire européen Albert Borschette venait de subir un AVC.

En 1981, Gaston Thorn s’échappa du « mariage forcé » avec le CSV de Pierre Werner, en endossant la présidence de la Commission européenne. Il échouera à trouver un remède contre ce qu’on appelait alors « l’eurosclérose ». Le diplomate français Claude Martin se rappelle avoir rencontré, fin 1984, « un homme amer, et usé » au Berlaymont. Il décrit sa rencontre avec Thorn dans ses mémoires Quand je pense à l’Allemagne, la nuit (2023) : « Il était de petite taille, et paraissait lui-même perdu dans l’immensité de ce bâtiment aux couloirs sans fin ». Thorn se serait dit « content de passer la main », lâchant que « la Commission est un lourd vaisseau ».

En 1992, le CSV put exfiltrer son ministre de l’Agriculture, René Steichen, et le remplacer par une jeune espoir nordiste, Marie-Josée Jacobs. « Es ist offenkundig, daß Steichens Abwanderung nach Brüssel der CSV einen Dorn aus dem Fuß zieht », commentait alors le Land. « Der Landwirtschaftsminister hat sich in den vergangenen Jahren bei der Bauernschaft, einer traditionellen Wahlklientel der CSV, nicht besonders beliebt gemacht. » Jacques Delors plaça le Luxembourgeois à la tête de la commission de l’Agriculture, traditionnellement sous pression des grands États membres. Mais la cuisine interne du CSV donnait une indigestion à certains : Marc Fischbach et Fernand Rau avaient, eux aussi, parié sur ce poste. L’ex-banquier Rau prit la nouvelle particulièrement mal. Le job lui aurait été promis de longue date, se plaignait-il au Républicain Lorrain, qualifiant Santer de « lâche » et Juncker de « menteur ». Il quitta le CSV peu après et rejoignit les rangs de l’ADR.

Les Luxembourgeois sont souvent des pis-aller, une manière de contourner les blocages entre les grands. En 1994, le Premier britannique John Major bloque la candidature du Belge Jean-Luc Dehaene. Le chancelier allemand, qui voulait un chrétien-démocrate issu d’un petit pays, passa donc un coup de fil à Jacques Santer. L’appel téléphonique de Kohl allait sonner le début de deux décennies d’hégémonie junckerienne au Grand-Duché. Quant à la carrière politique de Jacques Santer, elle s’écroulait seulement cinq ans plus tard : Sa commission démissionne collectivement en 1999. Sur treize commissaires luxembourgeois envoyés à Bruxelles en 66 ans, il y a une seule femme : Viviane Reding. Elle a rempilé trois mandats, ce qui arrangeait Jean-Claude Juncker, qui gardait ainsi sa rivale à distance. Tout comme Xavier Bettel était soulagé de voir son prédécesseur partir en 2014 et réaliser (avec plus ou moins de succès) son destin européen.

En 1985, le hardliner CSV Nic Mosar est envoyé à Bruxelles, lui qui n’avait jamais eu les honneurs ministériels (pas plus que son fils, Laurent, après lui). Un deuxième mandat lui est par contre refusé. « Längst war ja offenkundig geworden, daß u.a. Kommissionspräsident Delors nicht gerade große Stücke auf Mosar hielt », note le Land. Pour le remplacer, Santer suivit le conseil de Delors et opta pour un profil technocratique : Jean Dondelinger. Ce libéral non-encarté connaissait par cœur la mécanique bruxelloise, ayant servi pendant quatorze ans comme représentant permanent. Il avait ensuite été rappelé au pays, défendre le « Medienstandort » dans le rôle de commissaire de gouvernement auprès de la puissante CLT. En 1989, Delors le charge de l’audiovisuel et de sa dérégulation.

Dondelinger avait commencé sa carrière sous Albert Borschette, un diplomate de carrière nommé commissaire à la concurrence en 1970. Ces « années d’apprentissage » l’auraient marqué, raconta Dondelinger en 1988 au Land qui renchérissait sur la « Statur » européenne de Borschette « die weit über seine kleinstaatliche Herkunft hinauswuchs ». L’historienne française Mauve Carbonell donne une image un peu plus contrastée du personnage. « De nombreuses voix s’élèvent rapidement contre l’attitude, jugée autoritaire par certains, du commissaire Borschette » auquel on reproche de vouloir « débarquer » les personnes en poste pour y placer « ses » Luxembourgeois, écrit-elle dans De la guerre à l’union de l’Europe (2015).

Au Grand-Duché, la nomination de Borschette avait également soulevé la polémique. Les libéraux venaient de remplacer les socialistes comme junior partner du CSV, et ils demandaient la tête de Victor Bodson, commissaire européen depuis trois ans seulement. Gaston Thorn estimait qu’il était temps d’envoyer l’ex-ministre LSAP (âgé alors de 68 ans) à la retraite. « Il ne m’appartient pas de décider jusqu’à quel âge quelqu’un peut rester, mais sur les bancs socialistes de ce pays et ailleurs on pose souvent des critères de 70 ans », déclarait le « JFK luxembourgeois » à la Chambre. Le Premier ministre Pierre Werner (CSV) ne cachait pas son embarras. Il discourut longuement sur « l’aspect délicat d’un accord intervenu sous la politique antérieure et sous le gouvernement antérieur à propos de l’occupation de certains postes. » Mais la majorité aurait changé, et avec elle les réalités politiques : « Aujourd’hui, nous avons l’impératif de ne pas jeter la méfiance entre les partis de la coalition. » Cela ne ferait pas de lui « un renégat », il chercherait seulement à « ne pas exposer le pays à une crise politique inopportune ». L’ambassadeur Borschette ne présenterait d’ailleurs « pas de tendance politique spécifique ».

Avant Albert Borschette, trois Luxembourgeois avaient tenté de définir une politique commune des transports à Bruxelles. Après douze ans, le constat fut à l’échec. Ni les socialistes Michel Rasquin (mort quelques mois après sa nomination) et Victor Bodson, ni le diplomate Lambert Schaus ne réussirent à « dompter ce ‘bastion des nationalismes’ », écrit Mauve Carbonell. Dans un hommage à Lambert Schaus édité en 1977 par ses amis, on lit que celui-ci aurait hérité des transports « faute d’un autre candidat » : « Du fait de la complexité technique des matières à traiter en même temps que du caractère indéfini de la politique à élaborer, la responsabilité du secteur n’aiguise pas l’appétit des commissaires. »

En 2023, François Bausch (Déi Gréng) y jetait pourtant son dévolu, avec la gratuité des transports comme pitch. Les législatives en ont décidé autrement. Les Verts tremblent aujourd’hui pour leur siège au Parlement européen, et le nom de François Bausch circule désormais comme potentiel co-Spëtzekandidat censé sauver les meubles. L’ultra-conservateur Fernand Kartheiser piquant le siège à l’écologiste Tilly Metz ; voilà qui rendrait totale l’humiliation de 2023. Principalement engagée sur des dossiers de protection d’animaux, Tilly Metz veut « se battre comme une lionne » pour défendre le mandat.

Le DP aura du mal à rééditer son succès de 2019, lorsque Monica Semedo avait emporté un deuxième siège pour les libéraux (qu’elle refusera de lâcher après les sanctions prononcées contre elle pour mobbing). Les libéraux luxembourgeois sont menés par Charles Goerens (71 ans) qui cultive depuis des décennies son image de elder statesman. (Son âge ne l’empêcherait pas de « formuler de nouvelles idées », assure-t-il au Land.) Nicolas Schmit ne s’est pas encore prononcé s’il compte se porter candidat aux européennes. Le socialiste Marc Angel a réussi à se réinventer comme un des quatorze vice-présidents du Parlement européen. Il risque, de nouveau, d’être évincé par un ponte du LSAP voulant fuir l’ennui du Krautmaart. « J’ai toujours été un Parteizaldot », avoue Angel au Land. La conquête d’un deuxième siège serait un objectif « terriblement ambitieux », concède-t-il, mais ce serait son « dernier challenge ». Les sondages prédisent une percée à l’extrême-droite qui pourrait devenir la troisième fraction plus importante du futur hémicycle. Face à la déferlante populiste qui se profile, les querelles de postes entre Hansen et Schmit pourraient vite paraître byzantines.

Baurejong

Né à Wiltz en 1982 dans une famille d’agriculteurs, Christophe Hansen est le benjamin d’une fratrie de sept. Son éducation politique, il l’acquiert chez l’eurodéputée Astrid Lulling. Pendant six ans et demi, il travaille comme stagiaire puis comme assistant parlementaire de l’indestructible politicienne, passée du LSAP au CSV (via le SdP). En 2014, Christophe Hansen rejoint la Représentation permanente à Bruxelles où il négocie pour la ministre de l’Environnement Carole Dieschbourg (Déi Gréng). Deux ans plus tard, on le retrouve comme lobbyiste de la Chambre de commerce à assurer la veille sur les dossiers européens.

En septembre 2018, il prête serment comme député européen, en remplacement de Viviane Reding qui avait rejoint la Reconquista ratée de Wiseler. Dans l’hémicycle, Hansen acquiert une réputation de bûcheur de dossiers, notamment dans les domaines du commerce international et de l’environnement. Dans un portrait publié fin septembre, le correspondant européen du Wort décrit l’eurodéputé dans son milieu naturel : « In den Gängen der Brüsseler und Straßburger Machtmaschinerie wirkt Hansen zu Hause. […] Er ist per Du mit allen wichtigen Abgeordneten und sonstigen relevanten Personen des EU-Mikrokosmos. »

Mais Hansen veillera toujours à garder un ancrage local : Il préside ainsi l’Union des sociétés avicoles, qui compte plus de 2 700 membres. En 2011 (une année après avoir pris sa carte au CSV), il se fait élire au conseil communal de Winseler, une commune rurale de 1 400 habitants. Six ans plus tard, Hansen y est automatiquement réélu, le nombre de candidats n’ayant pas dépassé le nombre de mandats. (Il quitte le conseil communal fin 2022 après avoir déménagé à Clervaux.) Patiemment, Hansen montera les échelons régionaux, puis nationaux du CSJ puis du CSV.

Sur les questions sociétales, il défend une ligne progressiste. En novembre 2022, il irrite les milieux catholiques en publiant une tribune libre dans le Wort intitulée : « Jeder soll über seinen eigenen Körper bestimmen dürfen ». Hansen y plaide pour la création de lois protégeant « pour toujours » le droit à l’avortement et les libertés sexuelles. (Il dit avoir été poussé à rédiger ce texte, après avoir appris que la sœur d’une amie venait de mourir en Pologne des suites d’une IVG clandestine.)

Christophe Hansen est titulaire d’un master en sciences de l’environnement de l’Université Louis-Pasteur à Strasbourg. Mais cela ne fait pas pour autant de lui un écologiste. Sur les questions du climat et de la biodiversité, il a suivi la ligne dictée par le CDU (et qu’a également adoptée Luc Frieden). Le PPE s’est ainsi allié aux nationalistes d’extrême-droite pour lancer une offensive contre le Green Deal, concentrant ses tirs sur la Nature restoration law (qui prévoit de « restaurer » vingt pour cent des terres et mers européennes). En juin, Hansen signe une tribune libre dans De Letzeburger Bauer qu’il intitule « Der Fehler liegt in der Eile ! », appelant à une « Regulierungspause ». À quatre mois des législatives, l’eurodéputé drague sans vergogne le vote agricole et nordiste, en s’adonnant à du green bashing. La loi sur la restauration de la nature aurait été concoctée par des « Gutmenschen und Weltenretter », qui seraient « les pires populistes et fossoyeurs de notre agriculture productive ». Mais au Parlement européen la fronde de droite échoua et la loi finit par être adoptée sur le fil du rasoir en juillet. Christophe Hansen et Isabel Wiseler-Lima ont maintenu jusqu’au bout leur position de blocage.

Aarbechterjong

Contrairement à beaucoup de commissaires luxembourgeois avant lui, Nicolas Schmit n’a pas sombré dans le labyrinthe institutionnel de Bruxelles. Il a réussi à se distinguer par plusieurs propositions de directives gentiment progressistes. Celle sur le salaire social minimum lui a valu les critiques du patronat européen. (Le texte reste en réalité soft : la commission se borne à proposer un cadre commun qui devra favoriser une « convergence ascendante ».) Schmit a également fait élaborer une directive sur le travail de plateforme ; « do war de Nicolas och den Held », dit fièrement l’eurodéputé Marc Angel. Censée endiguer l’uberisation, elle vient d’être dézinguée par Macron.

Angel continue son pitch : « Il est plus connu qu’on ne le pense. Au moins dans certains milieux qui sont importants pour la social-démocratie et qu’il faut reconquérir. » Le commissaire à l’emploi et aux droits sociaux a soigné sa gauche. Il s’est créé une assise auprès des syndicats européens, dont il apparaît comme le candidat officieux. « Je suis un grand critique de l’idéologie néolibérale », rappelait-il en 2020 au Land. Au lendemain de la crise de 2008, Schmit avait senti le vent tourner. Lui qui n’avait jamais compté comme Lénks-Sozialist, sera un des premiers à critiquer le diktat de l’austérité imposé par l’Allemagne aux pays du Sud, n’hésitant pas à désigner, dans la vénérable FAZ, certaines décisions d’Angela Merkel de « populistes ».

Professionnellement, Nicolas Schmit a toujours évolué entre diplomatie et politique. Malgré son allure distante, il est loin d’être un pur technocrate. Né en 1953 à Differdange dans une famille ouvrière, il s’est formé politiquement dans le PS français pendant ses années d’études à Sciences Po Aix. Au sein du LSAP, Schmit est un des rares à suivre les débats intellectuels internationaux. Il est peu charismatique (et encore moins jovial), mais bon rhétoricien. Il est peu à l’aise dans le small talk, mais sait s’adresser à une foule.

Bernard Thomas
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